Pierre Restany
L’alchimiste de l’art

Biographie autorisée

Par Henry Perier

Il fonde « le nouveau réalisme » avec Yves Klein, Arman, César, Tinguely, Christo, Niki de Saint-Phalle…

Art is corpus delicti

Le projet LUCAS a la dimension et la portée d’une légende dans la légende.

Depuis 1987 l’artiste a exécuté une trentaine de tableaux de grand format sur le thème du Taureau et du torero. Dans chaque tableau un espace vierge de forme géométrique, régulière ou libre, est laissé à la disposition du torero qui a servi de modèle à l’œuvre. Chaque Torero est invité à peindre dans la même couleur écarlate figurant le sang du taureau cet espace vierge qui lui est réservé, qui constitue en quelque sorte l’âme de la composition picturale.

ll s‘agit là d’images schématisées, fragmentées, donnant une vision analytique d’une série de situations qui associent l’homme à la bête et qui constitue ainsi, dans leur continuité, une sorte de parcours de reconnaissance.

Plus qu’une allégorie multiple de la tauromachie, il s’agit d’un véritable rébus qui va puiser ses sources aux origines de la tradition immémoriale de l’expressivité humaine.

Cette forme géométrique peinte par le Torero et qui constitue le blason sémiotique de la Toile, LUCAS l’a retrouvée sur les murs de Lascaux. Il s’agit de ces mystérieux blasons, de ces quadrillages géométriques aux couleurs brunes et bistres qui figurent parmi l’abondant répertoire des bisons, des aurochs et des bouquetins constituant le message panoramique de nos ancêtres d’il y a 15 000 ans. L’aurochs est en effet l’animal roi du discours rupestre, les cerfs, les chevaux et les boucs paraissent beaucoup plus graciles. L’artiste du Magdalénien leur assigne aisément un rôle quasi décoratif de comparses. Le défi que l’homme assume en tant que tel c’est celui de son rapport à l’aurochs.

Le torero face au taureau noir de l’arène est le continuateur direct de ce moment de tension extrême dans la conscience d’être, entre la vie et la mort.

L’homme du Magdalénien avait la conscience de sa faiblesse physique par rapport à la faune qui l’entourait. ll y remédiait par l’intelligence, par cette qualité spécifique d’adaptation aux situations du moment qui savaient lui dicter les stratégies appropriées à la survie.

Le rythme existentiel de l’homme du Magdalénien était la peur. La peur organique et viscérale de la nature hostile et de la puissance animale, dans les cavernes, dans les creux et les replis de la terre nourricière. Un jour le chasseur habile, en état d’alerte constante, a décidé d’oublier sa peur pour en graver l’image et en peindre l’objet.

Ce jour-là, qui se confond dans la nuit des millénaires, l’artiste Magdalénien est né. Il s’est mis à malaxer l’ocre des terres avec le liant du sang de bison et le solvant de son urine pour tracer sur la paroi interne des rochers de son abri, l’image de l’ennemi, du danger permanent de l’objet de la chasse et de l’objet de la mort.

L’art est né a l‘ére du Magdalénien, de cet élan instinctif du chasseur qui a su braver l’angoisse et la peur pour en peindre l‘image et en assurer ainsi l‘exorcisme.

l| y a dans la suite de LUCAS la même référence, la même fixation d’un instant paroxystique de la conscience d’être. Le rapport du chasseur s’identifie à celui du torero au taureau. La grotte a été remplacée par l’arène mais la fixation existentielle d’un morceau exacerbé dans l’espace temps existentiel entre l’homme et la bête reste identique.

Il y a là comme la permanence de ce rapport originel et fondamental entre l’homme et la bête à travers la continuité de l’art, sa connaissance et son histoire.

La forme géométrique peinte par le torero est l’âme de chaque tableau de LUCAS. Cette âme, on la retrouve sur les parois des cavernes et ainsi s’accomplit le cycle entier de la magie expressive. Cette magie millénaire, LUCAS en a perçu le souffle profond. Il s’est senti le contemporain de l’artiste Magdalénien, le premier peintre de la Terre et du sang.

Alors, la référence au symbole de la couleur écarlate ne lui a plus suffi pour figurer la force magique de ce moment extrême et lui aussi LUCAS, l’artiste contemporain, a voulu marquer sa conscience du moment privilégié par le recours aux signes premiers. Et il a eu lui aussi tout naturellement recours au sang et à la Terre pour assumer de façon on ne peut plus claire et directe, la joie de cette vérité redoutable qui lui est révélée. La tache rouge est le corps du délit et ce délit s’est appelé art dès le moment où il a été ressenti, perçu et conçu par la conscience de I ‘être.

Pierre RESTANY

L’art est le corps du délit.

Paris, avril 1992.


Pierre Restany, Lucas (Milan)


Lucas, la communication des esprits

Des images schématisées, fragmentées, donnent une vision analytique d’un certain nombre de situations.

Fragmentation d’un message de façon à le rendre inintelligible au départ, et qui crée comme une espèce de parcours sémantique de reconnaissance.

En conceptualisant à l’extrême, l’idée de collaboration du torero, il devient abstrait. Cette tache rouge devient le corps du délit. C’est le dépositaire d’une grande activité, de l’échange d’un instant sublime. C’est un éclair dans la mémoire du torero qui est chez le peintre, le lieu privilégié de leur rencontre, de la communication de leur esprit où toute une série causale se structure, s’articule les unes aux autres, pour créer une sorte de trace qui est avant tout immatérielle mais n’en est pas moins le signe sensible de la présence de l’homme torero sur la toile, présence qui naît de l’émotion et s’adresse à elle.

Cette forme géométrique peinte en premier lieu, demeure obscure en nous, inintelligible ; que savons-nous de ces hommes qui nous ont laissé cette trace rouge, ombre insaisissable et pourtant, c’est la trace du mystère, la trace d’une communication profonde, c’est la preuve qu’elle s’est produite, qu’un moment privilégié a eu lieu, la trace d’un homme sur la toile, d’une présence, d’un moment sublime, indicible, dépassant le temps profane.

Pierre Restany

Paris, Mai 1992


Pierre Restany avec Andy Warhol, Christo, Jean-Claude Fari, Lucas…

‘‘Pierre Restany, le prophète de l’art’’ par Henry Périer.

Éditions Cercle de l’art.