Hommage à Nimeño
Dans la forme géométrique s’inscrit la signature de la vie
Si un être hors du commun décide de faire quelque chose, cette chose si simple puisse-t’elle paraître devient importante.
Lucas a exécuté une série de trente tableaux de grands formats. Dans chaque toile, il a réservé un espace géométrique vierge que peindront les toreros. Cette forme géométrique rouge est œuvre d’art à part entière puisqu’un être hors du commun y inscrit en langage secret sa vie passée, présente et à venir.
Dans cet espace clos, il laisse pour toujours sur la toile, un peu de son cœur, de son esprit et de son âme…
Nom des toreros qui ont participé à cette oeuvre avec Lucas :
Paco Ojeda
Juan Antonio Ruiz ‘‘Espartaco’’
Ortega Cano
Miguel Baez Litri
Richard Milian
Juan Mora
« …Je m’étais toujours demandé où Dieu avait déposé sur la terre, cette race d’hommes pour qui je pourrais éprouver de la tendresse, du respect et une amitié profonde. Aujourd’hui, je sais où ils sont, je les attends. »
Matador courageux et orgueilleux, tu poursuis ton enfance vêtu de soleil et de lumière.
Que ressens-tu quand, sortant de l’Arène, les acclamations se sont tues ?
Ressens-tu de l’apaisement ou un grand vide ? Es-tu heureux ou perdu comme un enfant quand la fête est finie ?
Paco Ojeda
De ces années dures pour mon corps et mon cœur, je garderai au plus profond de moi comme le sentiment inavoué d’avoir approché Dieu et d’en avoir été aimé comme l’un de ses plus chers enfants.
J’ai poursuivi mon enfance vêtu de soleil et de lumière, est-ce elle qui s’échappera avec la mort de mon dernier Toro ?
Je remercie Dieu de m’avoir déposé ici-bas à l’ombre des étoiles, aujourd’hui c’est l’été sur la terre des hommes et j’ai froid.
Juan Antonio Ruiz ‘‘ESPARTACO’’
Pour que cette œuvre picturale garde sa symbolique profonde, seul un homme perpétuant au risque de sa vie des rites ancestraux en étroite communion avec la nature et l’animal, pouvait lui assurer sa force, sa légitimité et sa pérennité.
Cette main qui plongea vers la croix de tant et tant de Toros aujourd’hui donne la vie, car c’est la mienne que j’inscris ici, passée, présente et à venir.
Dans ce tableau demeurera la trace, l’empreinte de ce qu’a été mon univers fait de rêve, de courage et de peur.
Je dépose ici cette partie de moi, celle, la plus belle, la plus secrète et la plus profonde parce qu’en fait, c’est elle qui dirigea toute ma vie.
Juan Antonio Ruiz ‘‘ESPARTACO’’, Lucas
Carmen, à Jean Cau
A paco Ojeda
Lucas, mon ami Richard Milian ‘‘Coeur de Lion’’
Chapelle du chateau de Cambous
Jose Ortega Cano
il venait de recevoir une terrible cornada dans une plaza d’Espagne où on lui avait donné l’extrême onction pour la troisième fois…
Jose Ortega Cano, un Seigneur…
L’ART EST DANS L’ÊTRE
LUCAS ou la signature de la vie
(par Henry Périer, commissaire de l’exposition et biographe de Pierre Restany)
En présentant un ensemble de 150 tableaux de LUCAS, dont trente, de grand format (220×250), la fondation Veranneman, en Belgique, insérait l’artiste, de façon spectaculaire, dans le monde de l’art. Au cœur de ce lieu prestigieux, centre d’arts plastiques international où confluent les courants contemporains, le peintre a donné toute la mesure de sa démesure… Peu enclin à montrer son travail, il avait jusqu’alors, toujours refusé d’exposer. Si l’on excepte certains noms de l’art brut, l’attitude reste peu banale. Etre reconnu par les collectionneurs lui suffisait. LUCAS attendait le grand œuvre. C’est donc avec fracas qu’il entrait dans la cour des grands.
Un projet fou, un acte de foi
En préambule à sa démarche, LUCAS écrivait:
« Tuer pour ne pas mourir, telle était la loi des premiers hommes qui habitaient cette terre. Effrayé et fasciné par le grand auroch noir, l’homme préhistorique le peignit dans les grottes rupestres, plus grand et plus impressionnant qu’aucune autre espèce animale. Un mythe prenait vie et au cours des milliers d’années qui suivirent, le taureau, victime sacrificielle, entra dans l’imaginaire des hommes. Aujourd’hui, seul le torero perpétue ces rites ancestraux dont le sens profond nous vient de cette aube de l’humanité dont nous avons perdu la conscience et qui fait vivre cet homme avec la peur. En dirigeant ses pas vers l’arène, il change son existence en destin et le talent d’être est dans le destin ».
« Je vais ainsi exécuter des toiles de grand format ayant pour thème le taureau et le torero. Sur chacune d’elle, je laisserai un espace vierge géométrique qui deviendra le point essentiel et vital de la peinture. Dans ma chapelle, les toreros que j’ai choisis -peindront- cette partie avec le sang du taureau et inscriront leur nom au bas du tableau. Ces hommes participeront d’une manière aussi importante que le peintre à la création, apportant la touche finale sans laquelle la toile demeurerait imparfaite. Simultanément, cet espace géométrique peint par le torero se dégagera de la composition du tableau pour devenir une œuvre d’art à part entière.
Projet fou qui fut accueilli par le mundillo et dans le milieu de l’art avec la plus grande réserve et beaucoup de scepticisme : « Projet d’une grande singularité mais difficilement réalisable » avait estimé l’écrivain Jean Cau. « Un acte de foi » avait prophétisé Pierre Restany, le critique d’art planétaire, qui ne demandait qu’à voir.
Instants magiques, émotions intenses…
L’homme de Sanlucar de Barramedas, des marais de Guadalquivir, le mythe vivant de l’Espagne des années 80 est venu. Solitaire et seul… immenses, les tableaux disposés sur des chevalets forment une vaste fresque dédiée à la tauromachie. L’atmosphère est électrique. Le torero, le visage grave, les joues marquées par deux rides profondes. L’artiste, hiératique, tendu à l’extrême…
Concentré, Paco Ojeda emplit les espaces géométriques que LUCAS lui a réservé dans ses toiles : scène étrange, moment religieux, indicible. La star de la tauromachie a pleinement saisi la symbolique du geste que lui demandait l’artiste et deux heures durant, va s’inscrire réellement dans l’œuvre. Un exploit que d’avoir amené le célèbre torero à participer à ce rituel. Instants magiques, émotions intenses qui se répèteront avec Espartaco, Jose Ortega Cano, Litri, Juan Mora et Richard Milian. « Plus qu’une allégorie multiple de la tauromachie, il s’agit d’un véritable rebus qui va puiser ses sources aux origines de la tradition immémoriale de l’expressivité humaine. ll y a là comme la permanence de ce rapport originel et fondamental entre l’homme et la bête…» résume Pierre Restany dans la préface du catalogue de l’exposition. Et d’ajouter : « Le projet LUCAS à la dimension et la portée d’une légende dans la légende ». Car l’aventure humaine et artistique que vient de vivre LUCAS est extraordinaire certes, mais elle a encore trouvé des prolongements inattendus…
De Lascaux à Lucas
Denis Vialou, l’un des grands patrons de la paléontologie dans le monde, nous livre, à la lumière de sa science, une autre interprétation :
« Le taureau noir de l’arène et l’homme de lumière perpétuent cette dualité de la vie et de la mort dans une intimité gestuelle d’une fascinante beauté, d’une fluidité éphémère et lancinante.
C’est elle que LUCAS peint avec une profondeur tragique, magnifiquement émouvante… Mais voilà qu’une tâche rouge, losangique, ensanglante son oeuvre. Tout y était apparemment intelligible et ce signe rompt l’immédiateté de la compréhension ! Le bestiaire imaginaire de Lascaux est également habité de signes, de formes géométriques simples ou complexes… Les signes de Lascaux, les quadrilatères rouges de LUCAS, associent dans une vision unique l’homme, l’animal et leurs significations inaccessibles à la seule lecture rationnelle… Elles invitent le spectateur à les parachever par son regard, celui qui confère du sens à ce qui est soigneusement caché… l’abstrait géométrique associé au figuratif, métaphorique de la relation vitale et sans cesse mortelle de l’Homme et de l’Animal. ». L’artiste a donc retrouvé, par la pure intuition, un geste accompli par les premiers hommes de l’humanité. Hallucinant… On en oublierait presque que le support de cette aventure est une oeuvre peinte, superbe et de grande qualité. Jean Cau a écrit à ce propos : « J’admire votre entreprise, votre ascèse, mais je vous le redis, sans la majesté de votre talent -je n’emploie pas ce mot au hasard- le chant de votre cérémonie n’ébranlerait pas les voûtes du temple…»