LUCAS ou la signature de la vie

« En présentant un ensemble de 150 tableaux de LUCAS, dont trente, de grand format (220×250), la fondation Veranneman, en Belgique, insérait l’artiste, de façon spectaculaire, dans le monde de l’art. Au cœur de ce lieu prestigieux, centre d’arts plastiques international où confluent les courants contemporains, le peintre a donné toute la mesure de sa démesure… Peu enclin à montrer son travail, il avait jusqu’alors, toujours refusé d’exposer. Si l’on excepte certains noms de l’art brut, l’attitude reste peu banale. Etre reconnu par les collectionneurs lui suffisait. LUCAS attendait le grand œuvre. C’est donc avec fracas qu’il entrait dans la cour des grands. »

Henry Périer, commissaire de l’exposition.

C’est au printemps 1987, de retour de St-Tropez, un lieu où la superficialité des apparences l’emporte sur la profondeur des êtres, que Lucas m’informe, sur le ton de la confidence, de son “idée”. J’avais été, d’autre part, le témoin privilégié d’un événement qui s’était produit, quelques mois auparavant dans la chapelle où il travaillait. Dans cet endroit extraordinaire, situé à un jet de pierre du plus ancien village préhistorique répertorié en France, le site de Cambous, Lucas m’avait convié à venir découvrir sa toute dernière œuvre. Une peinture qu’il venait d’exécuter au brou de noix, un cheval et un homme, sur le mur dans la nef.

La forme du dessin, les matériaux utilisés et le support du sable brun n’étaient pas sans évoquer les peintures des grottes de la préhistoire. L’artiste pointa son doigt sur un rectangle qu’il avait dessiné au bas du mur : “Tu vois, si un jour je disparais, je serai à tout jamais inscrit à cet endroit » Nous en restâmes là. J’étais loin de me douter dans quelle aventure j’allais être entraîné.

Septembre 89. L’homme de Sanlucar de Barrameda des marais du Guadalquivir, le mythe vivant de I’Espagne des années 80 est là devant nous… Il est venu, solitaire et seul… lmmenses, les tableaux disposés sur des chevalets forment une vaste fresque dédiée à la tauromachie. L’atmosphère est électrique… Le torero. le visage grave, les joues marquées par deux rides profondes. L’artiste, hiératique, tendu à l’extrême… Et le rituel commence. Concentré, Paco Ojeda emplit les espaces géométriques que Iui a réservés Lucas dans ses toiles… Le chef opérateur, le caméraman et le preneur de son retiennent leur souffle et ne communiquent plus que par des signes… Scène étrange… Moment religieux, indicible.

Celui qui dans l’arêne, rivé au sol, vertical, torée immobile pendant d’interminables minutes dans les cornes du fauve, accomplit ici un geste dont il a pleinement saisi la symbolique. Devant nous, il s’inscrit réellement dans l‘œuvre de l’artiste… Moment unique et surréel…

Moments magiques, émotions intenses, qui se répéteront avec Juan Antonio Ruiz “Espartaco”, José Ortega Cano, Miguel Baez “Litri”, Juan Mora et Richard Milian.

Comment Lucas en est-il arrivé là ? Comment a-t-il pu retrouver par la pure intuition, un geste accompli par les premiers hommes de l’humanité… Certains sont persuadés, que le pouvoir hypnotique de Paco Ojeda sur les bêtes lui viendrait de vies antérieures où lui-même aurait été taureau ! Alors on peut se demander si l’artiste n’était pas dans les grottes de Lascaux il y a 10 000 ans…

C’est en tout cas dans l’atelier de Jean Denys Maillard, portraitiste des rois et des célébrités de ce monde, que Lucas apprend le métier de peintre. Le don qu’il a pour cueillir la ressemblance physique et la vérité psychologique de ses sujets, peut s’épanouir dans cette ambiance plus proche de la grande et traditionnelle peinture, que de l’art contemporain. Mais peu à peu, il se détache de cet art, pour affirmer sa personnalité et sa vision du monde. ll s’impose une ascèse de vie et crée un univers où il oublie la couleur de sa première période. il travaille pendant des années, avec plus d’austérité, de rigueur et d’intensité les camaïeux de bleu.

En 86, il rajoute à ses tableaux une tache rouge. Ce geste qui à l’époque, pouvait apparaître comme un artifice visuel, était en fait prémonitoire. Lucas construisait un nouveau langage.

Ayant refusé obstinément jusqu’à ce jour d’exposer – il attendait le grand Oeuvre – il nous donne à voir aujourd’hui, à la Fondation Veranneman en Belgique, une œuvre totale et complète qui allie l’aventure humaine et artistique.

L’appropriation d’un espace sur la toile, par des hommes – les toreros — qui ont fait de leur vie un véritable sacerdoce, ouvre une nouvelle problématique plastique et de nouveaux horizons pour l’art de cette fin de siècle.

Henry Périer

Commissaire de l’exposition


«…En 1986, il rajoute à ses tableaux une touche rouge. Ce geste qui à l’époque pouvait apparaitre comme un artifice visuel était en fait prémonitoire, Lucas construisait un nouveau langage…»

Henry Périer


Lucas devant sa chapelle au château de Cambous

Lucas devant sa chapelle au château de Cambous «…dans le noir qui m’entourait jusqu’ici, un point brille là-bas et le chemin qui me conduit à cette lumière illumine déjà ma vie. Parfois j’y vois même la main de Dieu, car n’est ce pas dans cette chapelle où j’habite et je peins, que cette idée m’est apparue.

Et cet étrange oiseau que j’ai recueilli, il avait les même couleurs que les vitraux quand le soleil les transperce. L’oiseau est reparti vers son lointain pays. Etait-ce lui qui m’a laissé ce message ? Quelle main divine l’a posé sur mon chemin ?

La vie est un puzzle. Ce qui est obscur aujourd’hui sera clair demain, et si Dieu le permet, je saurai un jour pourquoi…»


Ma peinture est ordonnée de façon géométrique dans la totalité de sa composition. Dans chaque œuvre, je laisserai une place vide, carré, triangle ou autre forme géométrique, marquant de façon exacte le point essentiel du tableau.

Je demanderai à des êtres hors du commun de peindre cette partie vierge et d’apposer leur nom à côté du mien.

Dans cette idée, ce qui me subjugue et me passionne, c’est que pour la première fois un homme autre que le peintre va participer, d’une manière aussi importante à la création, apportant la touche finale sans laquelle la toile demeurerait imparfaite.

Cette petite partie de toile peinte constituera le cœur et l’âme de chaque tableau.

Simultanément, elle se dégagera de la composition pour devenir une oeuvre à part entière, car un homme y inscrit en langage secret, sa vie passée, présente et à venir.